Je commande un café avant d’entamer une journée de coaching qui s’annonce bien remplie. Un des participants remarque que mon état de réveil n’est pas optimal et m’invite à faire quelques exercices pour « réveiller mon cerveau et optimiser mon attention ». Je lui laisse le bénéfice du doute même si je sais très bien au fond de moi ce qui va suivre … Et évidemment, je n’y coupe pas : « alors tu joins tes mains et tu lèves un pied … ». Je souris, je n’ai pas l’énergie pour riposter, je m’exécute pour lui faire plaisir. Parfois, la vérité est décevante. Les gens n’aiment pas être déçus … et vous vous taisez tout en ayant envie de vous donner quelques baffes pour être certain que vous ne rêvez pas. Une baffe, c’est plus efficace que le café ! Les affres du Brain Gym.
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Que ce soit sur internet, dans une conférence sur l’éducation, chez certains professeurs ou même en commandant votre café … le Brain Gym peut vous rattraper …
D’où vient cette théorie et peut-on s’y fier ?
Vous l’aurez compris, fans de Brain Gym s’abstenir !
L’origine du Brain Gym®
Ce mouvement est apparu en Californie au début des années 70 grâce ou disons à cause de … Paul Dennison et de sa compagne, Gail E. Dennison. Ils ont fondé ensemble un programme sous forme d’une série de cours donnés par des instructeurs certifiés qui peuvent conduire à devenir soi-même instructeur. Le site Internet officiel est accessible ici, si vraiment le cœur vous en dit !
Ce mouvement prétend que certaines difficultés d’apprentissage (notamment en lecture et écriture) chez l’enfant proviennent d’un déséquilibre dans le cerveau.
Déséquilibre entre les hémisphères cérébraux droit et gauche, entre les parties antérieures et postérieures, inférieures et supérieures.
Pour « reconnecter » ces différentes parties du cerveau, le Brain Gym propose des courtes séances d’exercices de coordination du corps.
Une séance de Brain Gym prétend ainsi améliorer l’intégration des fonctions de ces différentes parties du cerveau et améliorer l’apprentissage.
Quelle est l’idée vraie, quelle est l’idée fausse ?
Autant que les choses soient claires, je vais vous décevoir mais …vous n’améliorerez pas l’attention de votre enfant en lui faisant effectuer les mouvements de coordination musculaire préconisés par le Brain Gym…
En effet, il a été démontré que ces courts exercices de coordination motrice, sans effort soutenu, ne permettent PAS d’améliorer la communication entre les hémisphères du cerveau (Spaulding L.S., 2011).
Ces exercices ne modifient PAS non plus le fonctionnement cognitif (Cancela JM1, 2015) qui active les circuits de la mémoire, du raisonnement logique, de l’attention, du langage …
Mais il y a malgré tout quelque chose que vous pouvez faire et qui aura des effets ! J’y arrive …
Il faut faire la distinction entre les effets présumés sur le cerveau des exercices du Brain Gym et les effets d’une activité physique soutenue !
Car oui – L’exercice physique soutenu a bien des effets bénéfiques sur l’apprentissage !
- Augmentation du rythme cardiaque et meilleure circulation du sang qui apporte l’oxygène tellement utile au cerveau avec impact direct sur son fonctionnement (Dupuy O1, 2015)
- Impact sur les fonctions cognitives générales des élèves (Hillman CH1, 2008)(S.SpitzeraWildorHollmannb, 2013)
- Impact sur la mémoire (Raine LB1, 2013)(Herting MM1, 2012)
Mais les exercices courts et coordonnés du Brain Gym ne sont notamment pas assez soutenus dans l’effort que pour prétendre à ces effets sur le cerveau.
Tout au plus ils prennent du temps aux élèves, temps qui pourrait être consacré à un réel effort physique !
Neuromythe, Bonjour …
Un neuromythe désigne une idée présente dans la communauté médicale ou de l’éducation mais qui n’a pas de source scientifique.
Certaines idées peuvent être vraies mais elles n’ont toutefois pas encore été démontrées par l’expérience. Parfois la raison en est simplement que les méthodes expérimentales ne permettent pas (encore) de tester l’hypothèse. Cela a le mérite de mettre tout le monde à l’aise, de rester ouvert d’esprit et de continuer à chercher…
Dans ce cas-ci, les présumés effets du Brain Gym ont été clairement réfutés par l’expérience.
Plus de justification possible donc pour les véhiculer !
Pourquoi alors cet engouement croissant ? Pourquoi les faits scientifiques sont-ils déformés ou ignorés à ce point ?
L’explication de la naissance et surtout de la persistance d’un neuromythe pourrait faire l’objet d’un livre en soi. On peut toutefois admettre que les enseignants et les parents sont sensibles à ces neuromythes car ils veulent avant tout aider leurs élèves, leurs enfants !
Et ce, par tous les moyens qui semblent opportuns, d’autant plus quand ces moyens font référence au fonctionnement cérébral et sont « emballés » dans un joli paquet pseudo « scientifique ».
De prétendus effets positifs « sur le terrain »
Certains professeurs disent assister aux effets positifs des exercices du Brain Gym dans leur classe, notamment sur l’attention des élèves.
Malheureusement, là aussi, on est en droit de se demander si les effets observés par ces professeurs sont réels ou imaginés.
L’effet Placebo (effet ressenti d’un médicament alors que celui-ci n’a aucune composition chimique, simplement pas l’effet de la suggestion) est réel. D’autres effets imaginés, comme celui du Brain Gym, ont déjà été constatés dans d’autres expériences en éducation.
Pour n’en citer qu’un seul : L’expérience d’Oak School sur l’effet pygmalion en est un exemple. Dans cette expérience, on fait croire aux enseignants que certains élèves ont un QI plus « prometteur » que les autres élèves. Ces mêmes enseignants rapportent ensuite qu’effectivement ces élèves ont été plus attentifs, disciplinés et agréables à vivre (Réf. Oak School)… tout un programme !
Effet Pygmalion – Rencontrer un professeur qui change la donne ☀️
Les conséquences sont réelles !
L’exercice physique soutenu a des effets bénéfiques sur le cerveau et son fonctionnement. En revanche, les exercices courts de coordination du Brain Gym n’en ont pas. N’en déplaise à tous ceux qui, par manque d’information ou intérêt commercial, vogue sur cette vague …
En tant que parents, ne perdez ni votre temps ni votre argent avec ces idées fausses qui peuvent, en plus, impacter votre vision de l’apprentissage et la façon dont vous aidez votre enfant.
L’inscrire à un club de sport et faire des balades en forêt avec lui pour oxygéner son cerveau seront bien plus bénéfiques que de lui faire faire des exercices de coordination pendant 3 minutes avant de reprendre son travail scolaire.
On pense que la propagation d’un neuromythe est inoffensif. Je ne suis pas d’accord !
- Il y a la perte de temps et bien souvent d’argent (ne nous leurrons pas !) dont je parlais, mais pas que …
- Les neuromythes influencent les choix pédagogiques de tous ceux qui essaient d’aider un enfant à réussir : parents, éducateurs, enseignants et même les élèves quand ils cherchent des solutions pour eux-mêmes ! A chaque fois qu’un neuromythe est adopté, c’est au détriment d’autres solutions qui, elles, fonctionnent. Dire à un parent qu’il doit inciter son enfant à faire un effort physique soutenu est moins « révolutionnaire » et « miraculeux » que de lui faire faire quelques exercices farfelus. Pourtant, c’est la vérité. Une vérité moins sexy.
N’hésitez pas à laisser vos commentaires. Je sors mon bouclier 🙂 …
Des outils pour apprendre.
Brain Gym – Bibliographie
Cancela JM1, V. S. (2015). Efficacy of Brain Gym® Training on the Cognitive Performance and Fitness Level of Active Older Adults: A Preliminary Study. J Aging Phys Act., Oct;23(4):653-8.
Dupuy O1, G. C.-C. (2015). Higher levels of cardiovascular fitness are associated with better executive function and prefrontal oxygenation in younger and older women. Front Hum Neurosci., Feb 18;9:66.
Herting MM1, N. B. (2012). Aerobic fitness relates to learning on a virtual Morris Water Task and hippocampal volume in adolescents. Behav Brain Res., Aug 1;233(2):517-25.
Hillman CH1, E. K. (2008). Be smart, exercise your heart: exercise effects on brain and cognition. Nat Rev Neurosci., Jan;9(1):58-65.
Raine LB1, L. H.-H. (2013). The influence of childhood aerobic fitness on learning and memory. PLoS One, Sep 11;8(9):e72666.
S.SpitzeraWildorHollmannb, U. (2013). Experimental observations of the effects of physical exercise on attention, academic and prosocial performance in school settings. Trends in Neuroscience and Education, 1-6.
Spaulding L.S., M. M. (2011). Is Brain Gym® an effective educational intervention ? Exceptionality, 18-30.
Remarque: Attention, dans cet article, il n’est pas question de psychomotricité telle qu’enseignée aux jeunes enfants: Tonus musculaire, équilibre, réflexes, aptitudes physiques, … (mais aussi gestion du stress, connaissance de soi et développement personnel, relaxation,…) au travers de la gymnastique, des étirements des articulations, de l’adoption d’une bonne posture sont autant d’objectifs intéressants à atteindre chez les jeunes enfants mais qui n’ont rien à voir avec la quête du « mieux apprendre ». N’en déplaise aux praticiens du Brain Gym.
A contrario: La pratique d’activités physiques est un atout pour l’apprentissage des élèves mais pas quand il s’agit de simples exercices de coordination, d’équilibrage, de prise de conscience de la latéralité, du méridien etc … Avoir une activité physique soutenue, boire de l’eau, utiliser des techniques de respiration contre le stress …oui !
Bonjour Sarah, merci pour toutes ces recherches intéressantes 👍. Cela nous rappelle qu’il est important d’exercer son esprit critique par rapport à toutes ces techniques. et cet article nous aide dans ce sens. J’ai aussi découvert que mon kinésiologue me faisait faire des exercices de Brain Gym pour reconnecter cerveau droit et gauche (sans me dire que c’était de la brain gym). J’effectue de temps à autre ces exercices quand je sais qu’un travail important m’attend. Et ça fonctionne plutôt bien. Effet placebo ou pas ? Je ne sais pas mais ça me fait du bien.😊
Bonjour Johanna, peut-être est-ce le fait de faire une « pause » et de se concentrer sur son corps et ses sensations pour quelques instants qui vous fait du bien. Ou l’effet Placebo en soi et donc oui pourquoi pas. IL y a des choses qui « fonctionnent » sans que l’on sache pourquoi. Je n’ai rien non plus contre la kinésiologie, je sors de chez un kinésiologue à l’instant, je dois donc avoir l’esprit un peu ouvert,malgré mon éducation et ma formation très « cartésiennes » :-D. De là à faire croire aux parents que le brain gym résoudra les troubles du déficit de l’attention en « reconnectant » les hémisphères cérébraux de leurs enfants … hum, non … 😉
Super intéressant ! Je ne connaissais pas le Brain Gym, mais tu m’as convaincue de ne pas m’y intéresser plus que ça 😉 J’aime beaucoup quand les propos sont justifiés par des connaissances scientifiques, tu fais ça très bien.
Bonjour Aline et merci pour ton commentaire. Cela me touche de lire que passer du temps (même si mon métier m’y a habitué) à synthétiser ses recherches n’est pas vain ! J’espère que les autres lecteurs y seront sensibles comme toi 🙂 Concernant le Brain gym, on peut s’en faire sa propre opinion mais malheureusement les faits scientifiques sont là, en dépit du fait que je ne veux pas décevoir les parents …
J’ai découvert la Brain Gym grâce à ma kinésiologue. Selon elle, la déconnexion cerveau droit/gauche a aussi une incidence sur nos postures et nos émotions.
Bonjour Valentine. Je n’ai pas connaissance d’études sur le sujet (connexion des hémisphères et émotions) mais cela vaudrait la peine de creuser. Tu as des références à conseiller ? J’aime bien découvrir de nouvelles choses, la kinésiologie en fait partie d’ailleurs 🙂 mais ce que je n’aime pas par contre, ce sont les personnes qui vague (le brain gym) sur une tendance pour vendre tout et n’importe quoi. Notamment vendre aux parents que le brain gym a de réels effets sur leurs capacités cognitives… -_-
J’adore ce genre d’article ! Démonter une idée reçue comme ça c’est très bien 🙂
Personnellement je ne connaissais pas le « brain gym », et cela m’aurait paru étonnant qu’un tel exercice ait ou avoir un effet concret sur le cerveau.
Bref merci pour cet article !
Arthur